Conte: L’homme aux sept sagaies

Publié le par Alain GYRE

 

L’homme aux sept sagaies

Agar Agaga était un paysan fort riche : il possédait sept cents bœufs, un jardin de sept hectares plein de légumes de sept sortes et sept vergers immenses plantés de sept espèces différentes d’arbres fruitiers. Si par superstition, par allergie ou pour une autre raison plus personnelle le chiffre sept vous indispose, cessez immédiatement de lire ce conte, qui est un hymne à la magie numérologique de ce chiffre bénéfique.

Agar Agaga avait sept jolies filles : il maria la première et reçut en dot sept taureaux et sept génisses de race.

Quand il maria la seconde, il obtint sept chevaux de selle et sept juments. La troisième lui rapporta sept hectares de bananiers et sept pirogues en bois dur pour en transporter les fruits sur la rivière. La troisième lui rapporta sept maisons dans sept villages différents. La quatrième lui valut sept pièces d’or et sept fois sept pièces d’argent. La cinquième sept pierres précieuses : un rubis, un saphir, un diamant, une émeraude, une opale, une topaze et une très grosse aigue-marine en forme de cœur. Le paysan était comblé : la sixième de ses filles obtint une dot de sept esclaves mâles solides et sept esclaves femelles excellentes cuisinières.

Pour la dernière de ses filles, qui était la plus belle et la plus convoitée, sept prétendants jeunes et beaux se présentèrent, tous riches et généreux, prêts à tout ou presque pour obtenir sa main. On vantait dans tout le pays sa parfaite gentillesse et son absolue beauté. Mais son père, qui vieillissait, voulait garder sa plus jeune fille avec lui quelques années encore. Il proposa donc aux prétendants une condition si périlleuse qu’aucun d’eux n’accepta : Le premier leva les yeux au ciel, haussa les épaules et partit sans dire un mot. Le second hocha la tête et tourna les talons. Le troisième tapota sa tempe de son index, éclata de rire et remonta sur son cheval. Le quatrième salua très bas le paysan, s’inclina encore plus bas devant la jeune fille et dit seulement :

« Dommage... »

Le cinquième posa au riche paysan une seule question :

« Et vous, que feriez-vous à ma place. Accepteriez-vous ? »

Le sixième dit :

« Ta fille est si belle qu’elle mérite qu’on risque sa vie pour elle. Mais j’ai entendu parler de ton extraordinaire adresse. Je n’ai aucune chance de m’en tirer. Alors adieu ! »

C’est que Agar Agaga imposait une condition vraiment terrible : il ne donnerait sa fille qu’à un homme capable d’éviter ses sept sagaies : or, c’était connu, il ne ratait jamais sa cible, à la chasse comme à l’entraînement. Le dernier prétendant était un jeune garçon des plateaux, un berger svelte et robuste, vêtu de pauvres vêtements, et les pieds nus.

« Je suis prêt, beau-père, dit-il - tu peux lancer tes javelots : j’accepte de mourir pour l’amour de ta fille. »

Et il se plaça au milieu du village, sur la place où tous les habitants avaient fait le cercle pour assister à cet impossible défi. Agar Agaga lança sa première sagaie droit sur le berger : mais vif comme l’éclair, le jeune homme s’écarta et saisit la lance en plein vol dans sa main droite. La foule frémit... Quand il reçut la deuxième sagaie, il la saisit de sa main gauche. La foule frissonna... Il prit la troisième sous son aisselle gauche, si vite qu’on crut qu’il était transpercé. Et quand la quatrième fut coincée sous son autre aisselle, la foule se mit à applaudir.

Le berger posait les sagaies devant lui, rangées bien sagement l’une après l’autre. La cinquième siffla : le berger réussit à la saisir entre ses dents, comme un chien attrape un sucre. Les applaudissements devenaient frénétiques. La sixième sagaie partit alors, droite et vibrante : le berger sauta et l’intercepta entre ses genoux serrés. La foule l’acclama...

Pour la dernière sagaie, Agar Agaga prit son temps et s’appliqua encore plus, tandis que sa fille attendait le cœur battant. La sagaie partit comme la foudre. Mais encore plus rapide, le berger avait fait un saut périlleux arrière et se releva sain et sauf : il avait réussi à coincer la lance entre ses pieds nus ! Là, les spectateurs poussèrent des hurlements de joie. La jeune fiancée s’évanouit de bonheur pendant une petite minute. Agar Agaga était éberlué. Il s’adressa au berger :

« Tu as gagné la main de ma fille chérie. Pars avec elle et soyez heureux : je te donne sept grosses vaches et mon plus beau taureau, sept juments rapides et mon propre cheval, un étalon noir. Tu auras aussi sept brebis et leur bélier, ainsi que sept chèvres avec leur bouc. Nul doute qu’avec ces bêtes de choix, tu seras très riche, si tu es aussi bon berger que grand guerrier. »

Le berger partit donc dans sa petite charrette, suivi de tous ces troupeaux. Sa jeune femme avait posé sa tête sur son épaule, heureuse de partir vers leur petite maison toute simple, quelque part au bord d’une lointaine rivière. A mi-chemin, leur voiture fut arrêtée par une bande de sept brigands armés de sagaies, peut-être soudoyés par les sept autres soupirants, éconduits, mécontents ou honteux.

« Nous voulons ta femme et tout le bétail que tu as reçu ! Quant à toi, imbécile, tu vas mourir : prépare-toi !»

Le berger descendit et se plaça au milieu de la route, face aux bandits, calmement. Les sept brigands lancèrent leurs javelots en même temps : ils furent interceptés en plein vol et en un clin d’œil par sept parties différentes de son corps ! En moins d’une seconde, les sept sagaies repartirent à toute vitesse vers leurs expéditeurs qui les reçurent en plein cœur.

Aïe ! Sept flèches de retour à leur expéditeur ! Tout simplement. Le berger rangea les sept cadavres sur le bord de la route et planta chaque sagaie mortelle auprès d’eux, en signe de respect pour leurs âmes. Puis ils repartirent tous deux sans encombre vers leur domicile, tous les animaux suivant par derrière, attachés à la queue leu leu à la charrette. La petite fiancée appuya sa tête sur l’épaule de son berger, qui chantait doucement et battait la mesure sur sa cuisse nue. Vous trouvez sans doute que le chiffre sept revient un peu trop souvent dans ce conte ?

Certes. La prochaine fois, c’est promis, on passera en revue le nombre treize, qui n’est pas mal du tout, m’a-t-on dit.

Graines de bitume, enfants de la rue, Tana

Mokana, orphelinat à Fianarantsoa

http://www.madagascar.net/

Publié dans Contes, Contes sur la toile

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