Des coins tragiques à chaque pas à Antananarivo

Publié le par Alain GYRE

Des coins tragiques à chaque pas à Antananarivo

10.09.2016 Notes du passé

Des coins tragiques à chaque pas à Antananarivo

Le résident général, le général Joseph Gallieni rentre de son inspection des côtes malgaches à Antananarivo, le 10 juillet. Salué par les troupes à coups de canon et par les autorités malgaches avec de beaux discours officiels, tous lui font une réception très réussie. « Celle qui convenait au représentant de la France », cite un chroniqueur, le correspondant du Bulletin du Comité de solidarité.

Mais ce qui surprend surtout les vieux colons, c’est la « manifestation spontanée » de l’enthousiasme populaire. « Le général Gallieni a été reçu par les Malgaches comme l’aurait été Ranavalona rentrant dans sa bonne ville. » Non seulement les maisons sont pavoisées, mais la population se presse le long du parcours- « jusque sur les toits »- et bat des mains en cadence comme on doit le faire conformément au cérémonial sur le passage du souverain.

« Le fait le plus curieux est que plusieurs kilomètres avant d’arriver à Tananarive, des femmes accouraient des villages voisins et jetaient des bouquets au général; amabilité bien méritoire car dans l’Imerina, la moindre giroflée ne consent à pousser que si on lui consacre des soins maternels (…) Il est difficile d’attribuer ces démonstrations à la crainte seule. »

Effectivement, sur l’itinéraire suivi par le Général, des arcs de triomphe en bananiers sont dressés, réunis par des banderoles portant la même inscription: « Au général Gallieni le peuple malgache reconnaissant. »

Se souvenant de quelques exécutions retentissantes, certains colons y voient de l’ironie macabre. Mais d’autres comprennent le sens d’une telle phrase, souligne le chroniqueur.

À cette époque, la masse de la population, esclaves libérés, porteurs, petits commerçants ont beaucoup gagné à la venue des Français. De leur côté, de grands personnages, ceux qui ont embrassé la cause des colonisateurs, n’ont pas non plus à s’en repentir, et certains princes de la famille royale sont même décorés. Mais surtout, croit le correspondant du Bulletin, « les Malgaches apprécient la poigne. Une promenade au cœur de Tananarive, au sommet de la ville, est instructive à ce point de vue: à chaque pas, on rencontre des coins tragiques ».

Il se plaît alors à citer certains de ces lieux afin de prouver la « poigne » des souverains merina en commençant par la « chapelle expiatoire anglaise d’Ampamarinana ».

« Du haut des rochers à pic, on précipitait les condamnés à mort ligotés dans une natte; au bas du précipice des soldats les recevaient sur la pointe de leurs sagaies, et les enfants du quartier venaient faire joujou à lapider les cadavres. »

Il désigne aussi, un peu plus loin, Ambatotsimahasoaolona, « la roche qui n’embellit pas », euphémisme discret qui désigne la pierre où les corps des personnes exécutées « étaient livrés aux chiens ».

« Et les chiens de Tananarive, aujourd’hui de paisibles bêtes persécutées par la police et passibles de la fourrière, mais toujours aussi mal nourris, venaient arracher aux mains même du bourreau leur nourriture humaine. »

Autre site tristement célèbre indiqué par le chroniqueur: un marais aux grands roseaux situé dans la plaine au bas de la colline d’Antananarivo. C’est là qu’à chaque avènement « le nouveau roi faisait noyer ceux de ses parents qui avaient été ou auraient pu être ses compétiteurs ». Ils sont noyés par respect car le bourreau n’a pas le droit de répandre le sang d’aussi hauts personnages.

« Et comme le marais n’est pas profond, on leur attachait une fourche autour du cou et on leur maintenait le nez sous quelques centimètres d’eau. »

D’après le correspondant du Bulletin, de telles horreurs sont récentes- « elles datent de vingt-cinq ans à peine »- et elles se sont déroulées sous les « yeux passifs » des missionnaires anglais.

« Le souvenir en est encore vivant dans la mémoire du peuple. Chez un peuple qui a de pareilles habitudes de gouvernement, l’introduction brusque des nôtres provoque une explosion: le mélange est détonant. Comprendrons-nous enfin que si les hommes sont égaux, ils ne sont pas semblables M. Laroche ne l’a pas compris, aussi jamais Malgache n’a-t-il eu l’idée de le saluer quand il passait dans la rue. »

Texte : Pela Ravalitera – Photo : Archives personnelles

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Publié dans Histoire, Notes du passé

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