Beandriake, le marin

Publié le par Alain GYRE

Beandriake, le marin.

 

            Beandriake est sur la mer depuis qu’il est enfant. Son père Lahindrano l’a pris avec lui dans son bateau, et il voyage au milieu de l’océan Indien comme s’il était dans son pays :il connaît toutes les îles perdues, il s’est arrêté sur toutes les côtes.

            Par beau temps, poussé par un bon vent, le petit boutre (1)  aux voiles rouges, rapide et léger, penché sur le côté, file joyeusement. Le père et son fils ont vu beaucoup de tempêtes, mais Beandriake n’a jamais eu peur ; même quand le bateau était penché comme un bouchon sur le haut des vagues. Un vent terrible l’emportait , mais il sortait des gros orages : le père donnait ses ordres en  conduisant le bateau, et ils restaient les maîtres de la mer.

            Avant de mourir, Lahindrano a fait promettre à son fils de rester sur la mer ; du moins, il ne devra jamais quitter le boutre plus de six mois. Beandriake promet. Quand son père est mort, il jette son corps dans la mer, et lui donne le nom de Hahitsambo, car un Sakalave ne doit jamais dire le vrai nom d’un mort.

            Beandriake est maintenant seul maître sur son bateau. Il est aussi le meilleur marin de l’océan : on entend parler de lui jusqu’au bord de la mer Mozambique. Là-bas, à Inandoha, se trouve un grand roi. Il est riche, et pourtant très triste…Un jour, ses deux filles jouaient sur la plage ; quand on est nenu les chercher, on ne les a pas retrouvées ; il ne restait plus sur le sable que les deux moitiés de leurs lambas, l’une rose et l’autre bleu, comme si elles avaient voulu dire  quelque chose à leur père. Aussi le roi est certain qu’elles ne sont pas mortes.

            Il a cherché sur toutes les mers et dans tous les pays voisins. Un jour, il entend dire qu’il existe un grand marin, et il le fait appeler. Le boutre aux voiles rouges vient justement de s’arrêter à Inandoha.

Le roi promet à Beandriake de charger son bateau de pièces d’or s’il retrouve ses deux filles. Beandriake ne répond rien, mais quand le roi lui dit qu’il ne peut voyager que sur son bateau.

-Je veux bien, dit-il. Je laisserai mon boutre à Inandoha. Mais je ne partirai pas plus de six mois. Au bout de ce temps, je te quitterai, même si je n’ai pas retrouvé tes filles, même si nous sommes  en pleine mer. Je ne resterai pas une seconde de plus. Rien ne me retiendra.

On discute encore un peu, puis le bateau du roi prend la mer.

 

Ils cherchent sur toutes les côtes et toutes les îles de l’océan, et le temps passe…Ils sont maintenant partis depuis cinq mois et demi, et Beandriake dit au roi que le moment est venu de rentrer. Mais le vent tombe tout à coup. Alors le bateau s’arrête sur l’eau presque immobile. Les voiles pendent le long des mâts. Aucun vent ne les gonfle, aucune vague ne pousse le bateau. Beandriake marche à grands pas, les bras croisés et la tête baissée. Le roi lui-même n’ose pas lui parler  et regarde tristement les deux morceaux de lambas rose et bleu qu’il a emporté avec lui, attachés à sa ceinture.

 

Dès jours passent encore, mais rien ne change et le bateau ne bouge toujours pas, revoyant son image dans la mer d’huile. Un matin, Beandriake arrête tout à coup  sa marche et dit au roi :

-Je vais te quitter.

-Comment feras-tu ? D’ici on ne voit aucune terre.

-Ca ne fait rien. J’irai jusqu’à mon boutre à la nage s’il le faut. Mais en attendant, fais descendre une barque, un peu d’eau, et des bananes. Je finirai bien par trouver une terre…

Le roi veut bien, car il comprend que le marin ne fera rien de plus pour lui.

 

Pendant trois jours, Beandriake ne prend pas de repos. Un soir, trop fatigué, il range ses rames et s’endort. Lorsque le jour se lève, il est réveillé tout à coup. Son bateau s’est arrêté au bord d’une plage. Un vent léger souffle sur les palmes des cocotiers de la côte. Mais comme il est encore fatigué, Beandriake se rendort.

C’est un bruit de voix, qui le réveille tout à fait. Au dessus de lui, il voit quatre beaux yeux qui le regardent, étonnés et effrayés aussi.

Il se lève et saute sur le sable. Ce sont deux petites filles qui se ressemblent tout à fait, sauf que l’une a une moitié de lamba rose sur les épaules et l’autre une moitié de lamba bleu.

-Qui es-tu ? demande l’une.

-D’où viens-tu ? demande l’autre.

Lui ne leur demande rien, car il les a bien reconnues : ce sont les filles du roi de Inandoha. Il répond seulement :

-J’étais sur un bateau qui a coulé.

-Alors, repars vite sur ta barque, dit la petite au lamba rose. Cette île est à Ndrimobe, l’ogre aux grandes ailes, et il te mangera sûrement.

-il nous a emportées pendant que nous nous amusions sur la plage, explique l’autre petite fille. Nous avons seulement pu arracher la moitié de nos lambas pour prévenir notre père.

-il ne nous a jamais fait de mal, mais nous savons qu’il nous mangera un jour ou l’autre…Ce soir, ou demain matin. Mais toi, va-t-en vite.

-Je n’ai pas peur, dit le marin. Emmenez-moi près de lui.

 -Il n’est pas encore revenu de la chasse, lui disent-elles.

Sauve-toi vite, car avec ses grandes ailes qui le portent, il peut arriver tout de suite.

-J’attends, dit le marin.

Un peu plus tard, les feuilles et les branches commencent à remuer, comme sous un vent très fort. C’est l’ogre qui arrive. Il n’a pas l’air étonné de trouver là quelqu’un qu’il ne connaît pas : il a vu, de loin, le bateau sur la plage.

Il est très grand, tout noir, et ses deux ailes sont bleu nuit. Il porte sur lui un masque horrible, car il n’a pas de visage.

-Je suis très heureux, dit-il, de recevoir un grand marin, mais comme je n’ai rien aujourd’hui pour mon déjeuner, tu arrives au bon moment.

-Avec grand plaisir, répond poliment le marin, mais avant cela, je vais t’apprendre un jeu. Tu y joueras plus tard, quand tu ne sauras pas quoi faire. C’est le katra. Il est si intéressant que tous ceux qui le connaissent oublient tout pour y jouer.

Beandriake va chercher des petites pierres et des graines. Avec un bout de fer de sa barque, il creuse des trous dans le sable. Et il explique le jeu à Ndrimobe : il faut placer les graines et les pierres dans des rangées de trous, et changer ses graines contre les pierres de l’autre joueur. L’ogre est très intéressé car il n’a jamais joué encore.

-Regardez-bien, dit-il aux petites filles. Nous y jouerons quand j’aurai mangé cet homme.

-Avec plaisir, dit encore le marin. Mais écoute, je vais te demander quelque chose. Si tu gagnes trois fois, tu me manges ? mais, si c’est moi qui gagne, je te donne un léger coup sur la tête avec ce bout de fer, et nous jouerons encore une fois. Ce sera pour que le jeu te rentre mieux dans la tête.

L’ogre est si bête qu’il est d’accord. Il est même sûr qu’il ne sera jamais battu var il se croit très intelligent.

 

Ils se mettent donc à jouer. Ndrimobe perd la première fois, puis la deuxième et même la troisième fois.

-Il y a quelques petites choses que tu n’as pas encore très bien comprises, lui dit le marin. Baisse-toi un peu. Tu es si grand ! Je vais te donner un petit coup sur la tête, tu comprendras beaucoup mieux après.

Ndrimobe se baisse. Beandriake lève le bâton et le lui plante dans le cou. L’ogre remue un moment ses grandes ailes, et les feuilles et les branches remuent aussi comme sous un grand vent. Puis tout redevient tranquille, quand l’ogre cesse de vivre.

-Nous sommes sauvées ! Nous sommes sauvées ! crient les petites filles tout heureuses. Toi qui as tué l’ogre, peux-tu nous ramener chez notre père, le roi d’Inandoha ? Emmène-nous, s’il te plaît !

-Il faut que vous m’attendiez ici, dit le marin. Maintenant, n’ayez plus peur. Vous reviendrez sur le bateau de votre père, car ma barque est trop petite. Donnez-moi les autres moitiés de vos lambas : ainsi, il saura que je dis la vérité.

Avant de partir, il tire une des plumes de l’ogre, puis la jette dans la mer. Il attache les deux lambas à la grande plume ; un léger vent souffle sur cette voile, et la barque s’en va

 

Au bout de trois jours, vers le soir, il est très fatigué, et s’endort. Au matin, il est réveillé tout à coup ; sa barque a frappé le bateau du roi, resté au même endroit.

Le roi avait vu de loin la voile rose et bleue, et son cœur était plein d’espoir ; il est maintenant sûr de retrouver ses filles quand Beandriake lui raconte toute son histoire.

Pourtant, le vent ne se lève toujours pas, et tout le monde pense qu’on ne pourra plus partir. Mais le marin regarde au loin et dit calmement :

-Nous partirons demain.

La nuit tombe et tout le monde s’endort. Au matin, quelques vagues font danser doucement le bateau. Les voiles se gonflent et Beandriake se met à la barre.

Lorsque le roi de Inandoha voit au loin ses petites filles qui l’attendent sur la plage, il est tellement heureux que son cœur s’arrête. Rien ne peut le réveiller et le temps passe… Le marin n’a plus que quelques jours pour arriver à son boutre. Il prend alors la direction de Inandoha.

Le roi est toujours sans vie sur le bateau ; ses filles pleurent, l’appellent, l’embrassent. Il respire encore, et elles gardent espoir.

Dès que le bateau arrive, on descend le roi devant tous les gens du pays qui l’attendent. On est heureux d’avoir retrouvé les princesses, et triste d’avoir perdu son roi. Tout le monde fait tellement de bruit, que le roi se réveille. Tout de suite, il demande Beandriake.

Mais le marin est déjà reparti sur son boutre. Les six mois sont passés et il ne veut même pas perdre une demi-heure à charger l’or que le roi lui a promis :

-L’or porte malheur, dit-il.

Et les voiles rouges deviennent de plus en plus petites au loin…On ne reverra jamais p)lus Beandriake.

 

 

Notes :

(1)   Boutre : petit bateau à voiles arabe.

 

 

Répondons aux questions :

Où a grandi Beandriake ?

Que fait son père ?

Que lui fait-il promettre à sa mort ?

Pourquoi Beandriake donne-t-il un deuxième nom à son père mort ?

Pourquoi le roi de Inandoha est-il triste ?

Que demande-t-il à Beabdriake ?

A quelle condition le marin est-il d’accord ?

Que se passe-t-il sur la mer ?

Que décide Beandriake ?

Comment retrouve-t-il les petites filles ?

Qui les a emmenées ?

Comment le marin les sauve-t-il ?

Que devient le roi en revoyant ses filles ?

A son réveil, où est passé  Beandriake ?

 

 

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