Le kabary, une pratique imprévisible

Publié le par Alain GYRE

Le kabary, une pratique imprévisible

Entre art et tradition, le kabary est une pratique héritée des temps anciens, depuis les Vazimba selon certains. Mais il se perpétue contre vents et marées, s'adaptant quelque peu à la modernité.

Le « kabary » confirme la place occupée par l'oralité dans la civilisation malgache. Cette pratique oratoire a fondé ses origines depuis les temps immémoriaux. De l'époque où il suppléait plusieurs attributs dans la société : administratif, royal, militaire, festif, ainsi que d'autres situations qui requéraient un savoir-parler efficace et surtout efficient.
Il existe plusieurs expressions qui ont traversé les générations, témoignant de l' ancrage du kabary dans toutes les strates sociales du pays, comme Kabarin'andriana, Ny teny diso tsy mba kabary, Kabary ambony vavahady, etc.
De nos jours, le kabary est considéré comme du folklore, voire un passage obligé dans les relations sociétales. C'est dans l'intimité d'un événement familial, en général, que le kabary reprend des couleurs. L'explication est assez rudimentaire pour Lalao François Rabenandrasana, orateur émérite et ayant déjà publié quelques ouvrages sur le sujet.
« Quand l'écriture a été introduite dans le pays au début du XIXè siècle, tout ce qui a été administratif a suivi le mouvement, restant pour la pratique, les actes sociaux, comme les funérailles, les noces », concède t-il.
Une situation qui est restée la même au fil des années. Dans le milieu des années 1990, un phénomène culturel a déferlé sur la capitale et allait s'étendre sur les régions de l'Île.
Fort d'une notoriété retrouvée, le kabary a conquis les esprits des jeunes. Des cours d'apprentissage de la pratique oratoire ont fleuri dans les quartiers d'Antananarivo sous l'impulsion de cette demande inattendue. Un paradoxe. Car, c'est à cette époque que le mot « mondialisation » a fait son apparition dans le vocabulaire populaire.
Hérésie
« La torpeur a atteint tous les défenseurs de la culture malgache, car c'est bel et bien la période où la mondialisation a frappé à nos portes. Alors, nous avons cherché à raviver la flamme du kabary en visant surtout les jeunes », se rappelle Alexandre Ranaivoson, orateur et secrétaire général de l'association culturelle Mpianadahy Mianala.
« Notre message était simple : seuls ceux qui peuvent convaincre ont la capacité de se débrouiller au sein de la société. Et le kabary en est un moyen infaillible », explique-t-il.
Ce réflexe rappelle l'époque de la colonisation. Du temps des royaumes, la pratique du kabary prenait une structure simpliste. Le kabary était alors un acte purement administratif.
Chez les administrés, l'orateur était choisi parmi les personnes qui avaient assez d'expérience pour porter les désidératas du peuple à l'oreille du régent. Tandis que celui-ci déléguait sa parole au Tandapa ou au Andriambaventy.
« Lorsque les Français ont occupé le pays, les Malgaches, portés par l'orgueil patriotique, ont introduit les proverbes et les sentences dans le kabary pour donner plus de répondant à celui-ci. Une manière de démontrer que nous aussi avons notre culture. Quelque part, ils servaient aussi de codes pour détourner la compréhension des colonisateurs », explique Jeannot Rasoloarison, chef du département d'Histoire à l'université d'Ankatso.
Pour ainsi dire, le kabary est le moyen le plus facile et le plus accessible pour affirmer désormais son identité chez le Malgache.
Mais dans les années 1990, le schisme dans le milieu des pratiquants du kabary a opéré. En gros, un clash entre ceux qui défendent que cette pratique ne s'apprend pas mais se mérite, et ceux qui prônent que le kabary peut s'apprendre à l'exercice, comme toutes les traditions.
Le fait est que personne, des puristes aux simples apprentis, ne s'est pas très bien préparé à cette reprise en main de la pratique ancestrale, et par voie de conséquence de sa « démocratisation » à outrance.
Chez les puristes, voir un gamin de 12 ans aligner proverbes et tournures à la télévision, par exemple, constitue une hérésie. Mais malgré tout, le kabary continue bon gré mal gré son bonhomme de chemin.

Maminirina Rado

Samedi 23 juin 2012

L’Express

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