Le Takatra et le hibou

Publié le par Alain GYRE

Le Takatra et le hibou
(Betsileo)


Le  takatra (1) et le hibou se firent frères de sang.

Celui-ci dit au takatra :

« Viens passer quelques jours chez moi. »

Le takatra accepta , ayant été invité par un ami. Mais il trouva la maison du hibou en mauvais état, envahie par l'herbe; et vide de tout meuble.

« C'est ta maison, dit le takatra? viens voir la mienne, elle est bien mieux installée. »

Le hibou se rend à l'invitation, entre, et dit plein d'étonnement :

« Bravo ! Elle est superbe ta maison, ami. »

Leur séjour commun fut de longue durée. Le takatra dit enfin :

« Allons, compère, chercher de quoi manger; j'ai faim. »

« Attendons qu'il y ait un peu d'ombre, répondit le hibou ; le soleil est encore trop chaud. »

Une seconde fois, le hibou répondit au takatra qui le pressait de sortir :

« Compère, il fait déjà assez chaud dans la maison, je reste chez toi ».

« A Dieu ne plaise, dit le takatra. »

Il donna un coup de pied au hibou et s'enfuit en courant, Il attendit en dehors, d'autres oiseaux pour l'aider à battre le hibou qui s'obstinait à rester chez lui. Arrive un papangue (2). Le takatra lui dit

« Le hibou, seigneur, m'a pris ma maison. Faites-le sortir. Si vous y arrivez, je vous donnerai trois colliers et quatre mères-sauterelles. »

« N'aie pas peur, dit le papangue, je vais le mettre en pièces ».

Il regarda par la porte et ajouta :

« Qui est dans la maison du takatra? »

« Moi, celui qui a un tambour dans la poitrine ; celui qui a de la barbe au bas de la gorge; si je regarde en l'air, le ciel s'effondre; si je tousse, la terre tremble; si je donne un coup de pied dans l'eau, elle se disperse. Ceux qui viendront je les mangerai. »

Lorsque le papangue entendit cela, il s'enfuit en disant au takatra :

« Eh! il est trop fort ; envoie un autre à ma place. Quand il tousse, la terre tremble ; s'il donne un coup de pied dans l'eau, elle se disperse. C'est extraordinaire ! »

Peu après, passe un héron '.

« Ma maison, seigneur héron, est aux mains du hibou. Faites-le sortir, et si vous réussissez, je vous donnerai trois colliers et quatre mères-sauterelles. »

« Ne crains rien, je vais le mettre en pièces. »

Regardant par la porte, le héron se mit à crier :

« Qui est là dans la maison du takatra? »

« Moi, répondit le hibou ; celui qui a un tambour dans la poitrine et de la barbe au-dessous de la gorge; si je regarde le ciel, il s'effondre; si je tousse, la terre tremble; si je donne un coup de pied dans l'eau, elle disparaît. Ceux qui viendront, je les mangerai! »

A ces paroles, le héron s'enfuit en disant au takatra :

« Je ne connais pas tout cela, cher ami. Au revoir, takatra; je m'en vais. Je souhaite que Dieu te protège, car nous descendons d'une même souche; notre nourriture est la même; nos plumes seules diffèrent. Porte-toi bien seigneur takatra. Je ne comprends pas ce que je viens d'entendre. »

D'autres oiseaux vinrent, mais ils reçurent la même réponse et furent épouvantés par les paroles du hibou.

Le takatra perdit la tête.

Il n'avait rien à manger, et la faim se faisait sentir pendant qu'il attendait du secours contre le hibou. Ne voyant personne, il se mit à picorer comme les poules dans des détritus, sur la terre mouillée. Il becquetait par ci, par là, lorsque arrive un tsintsina (3)qui dit au takatra :

« C'est toi, seigneur takatra, qui es maigre, affligé, malade, chagrin; pourquoi ne te tiens-tu pas droit . comme un homme! Tu as l'aspect d'une femme que la jalousie tourmente. Tes lèvres coupées en disent long. Qu'est-ce qu'il y a donc, seigneur takatra? »

« Je suis mort, répondit le takatra; je suis perdu. Le hibou, seigneur, m'a pris ma maison. Il me l'a prise et je n'ai rien de lui en compensation. Cependant, étant frères de sang,
nous devrions être en très bons termes. Sa maison ne vaut rien, tandis que la mienne est
en bambous entrelacés sur lesquels j'ai appliqué un torchis (4). Elle est bonne et chaude. Il me
tuera si je veux y entrer. Je t'en prie, seigneur, fais le sortir. Cela fait, je te donnerai trois colliers et quatre mères-sauterelles. Je te préviens seulement que je ne t'aiderai pas. Je me suis plaint à beaucoup d'oiseaux; je leur ai raconté mes malheurs comme à toi. Ils m'ont donné de
belles paroles, puis se sont retirés. Si tu peux m'en délivrer, dis-le moi; et si tu. arrives à ex-
pulser le hibou de chez moi, je te donnerai trois colliers et quatre mères-sauterelles. »

« Aie confiance, seigneur takatra, dit le tsintsina, le caïman va venir. »

Lorsque le caïman fut arrivé, le serpent vint aussi. Ils délibérèrent sur ce qu'il y avait à faire contre ce gredin de hibou :

« S'il vient à voler, dit le caïman, coupe-lui les ailes. »

Le tsinsina se montra à la porte et dit :

« Qui est dans la maison du Takatra ?»

 « Moi, répondit le hibou; celui qui a un tambour dans la poitrine et de la barbe plus bas que la gorge ; si je regarde en l'air, le ciel s'effondre; si je tousse, la terre tremble ; si je donne un coup de pied dans l'eau, elle disparaît, ceux qui viendront je les mangerai ! »

Le tsintsina, en colère, entre. Une fois dedans, il saute sur le hibou, lui donne un coup de pied et s'accroche à lui à la naissance des ailes. Le hibou se mit à battre des ailes en sautillant. Mais il avait beau sautiller, le tsintsina se tenait bien. Ce dernier sauta dans la bouche du hibou et sortit de son corps par derrière. Le hibou en mourut sur le coup.

 Lorsque l'ennemi du takatra fut mort, le tsintsina s'approcha, et lui dit :

« Où sont les trois colliers et les quatre mères-sauterelles? Ton frère de sang est mort, il faut songer à le mettre dans un cercueil et l'enterrer. »

« Je te remercie beaucoup, seigneur, de ce que tu viens de faire. Mais je ne donnerai pas de sépulture au hibou, car il a renié le serment de sang qui nous liait. Quand à notre convention, sois tranquille, ô mon maître, je vais chercher ce que je t'ai promis. Je te laisse ma maison en garantie jusqu'à ce que je revienne. »

Et il partit. Il revint rapportant les objets en question enveloppés dans des feuilles de songe ' :

 « Vivez longtemps, ô mon maître, dit-il au tsintsina et parvenez à la vieillesse (5) avec votre femme et vos enfants. Que Dieu vous bénisse pour le bien que vous m'avez fait. Voici, avec mes remercîments ce que je vous ai promis. Je peux facilement, vous donner ce que je vous donne. Prenez, ô mon maître, ces trois colliers et ces quatre mères-sauterelles. »

Le tsintsina prit les feuilles de songe (6) et en les défaisant, trouva les quatre mères-sauterel- les. Il s'en réjouit. Mais à la place des colliers se trouvaient trois grenouilles :

« Où sont les colliers, seigneur takatra, dit le tsintsina? je n'ai trouvé que trois grenouilles. »

« Ce sont les colliers, seigneur tsintsina, dit le takatra; mangez-les. »

« Du tout, répondit le tsintsina ; mon grand-père ni mes ancêtres, n'en ont encore jamais mangé. Ils se sont embrassés, nez contre nez , avec les grenouilles. Elles sont sacrées pour nous. »

« Ces grenouilles, dit le takatra, fais les cuire ou griller à ta guise. ».

« Tu veux me tromper, oh ! toi, dit le takatra en colère ; nous étions convenu que tu me donnerais trois colliers, et tu m'apportes des grenouilles! Ma postérité ne te secourra jamais plus quand tu seras dans le malheur. Je t'engage à ne pas avoir de descendants. »

C'est pour cela, dit-on, que le takatra et le tsintsina ne sont pas amis et ne picorent pas
ensemble.

 


(1)  Espèce de huppe. C'est un oiseau de mauvais augure.

 

(2)  Gros oiseau de proie (Milvus oegyptius). Papangue est la francisation du mot malgache papango.

 

(3) Petit oiseau (Cisticola madagascariensis).


(4) Ce système de construction est assez commun dans les parties de l'île où on trouve de la terre rouge. Il n'y en a que de très rares échantillons sur la côte qui est exclusivement sablonneuse.

 

(5) C'est la formule de salutation d'inférieur à supérieur. s Quand on s'adresse à la Reine, elle se termine ainsi : Parvenez à la vieillesse au milieu de vos sujets. La formule employée pour le Premier Ministre : Parvenez à la vieillesse avec la Reine.


(6)  En malgache Saonjo (arum esculentum). Les Malgaches, les étrangers même, en mangent les feuilles.
 


Contes populaires malgaches

 

Recueillis, traduits et annotés par

 

Gabriel FERRAND

 

Editeur : E. Leroux (Paris) 1893



 


 



 

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