Conte: Le Roi sans chèvre

Publié le par Alain GYRE

 

Le Roi sans chèvre

Il était une fois un roi qui régnait sur dix mille sujets. Il possédait dix mille bœufs, dix mille chèvres et dix mille oies. On disait que sa plus grande richesse était une chèvre blanche aux cornes d’or, qu’on appelait la Chèvre d’Abondance, et qui assurait au pays paix et prospérité.

Un jour sa Chèvre Sacrée disparut. Il y eut des lamentations, des larmes dans tout le palais car le roi était fou furieux. On chercha la bête dans tout le pays, on promit des récompenses, on menaça mais rien n’y fit. Le chef des gardes lui-même se déclara impuissant. Tout ce remue-ménage paraissait ridicule à un certain paysan, un dénommé Trobobo qui éclatait de rire quand on lui parlait de cette chèvre :

« Tant de bruit pour si peu ! riait-il. Une bête maigre qui n’avait que la peau sur les os, et qu’il a fallu cuire dix heures ! Ah ! Ah !... J’en ai encore quelques poils dans les dents !.. »

Ces plaisanteries vinrent à l’oreille d’un berger qui le dit au régisseur du Roi, qui le répéta au premier ministre, qui le raconta au Roi. Qui lui ne plaisantait pas. On alla chercher le paysan Trobobo chez lui et on le conduisit devant le roi sous bonne garde, entre deux rangs de lanciers, qui ne plaisantaient pas non plus.

« Est-ce toi qui as volé ma chèvre ? » demanda le Roi.

Le paysan s’inclina profondément et dit,

« Ce n’est pas moi, Majesté. Et d’ailleurs qui oserait voler ta Chèvre Sacrée ? »

« On t’a entendu te vanter de l’avoir mangée. D’ailleurs, nous allons te confronter avec des témoins.»

On fit venir des amis du paysan, qui furent bien obligés de jurer qu’ils l’avaient entendu se vanter et prétendre qu’il avait mangé la chèvre.

« C’était une plaisanterie. Je suis trop bavard, c’est vrai, et cette fois-ci j’ai vraiment exagéré ; mais je n’ai jamais volé. »

On ne voulut pas le croire et on le soumit au Jugement des Crocodiles. Il fut amené au lac devant toute la population. On l’attacha sur un tabouret au bord de l’eau. Des dizaines de crocodiles s’approchèrent et l’entourèrent la gueule grande ouverte, et bien sûr le paysan se mit à hurler.

« Arrêtez, arrêtez ! C’est moi qui ai mangé la Chèvre. Sortez-moi de là ! »

Le Chef des Gardes, qui avait eu l’idée de ce jugement, le mit en prison. On délibéra et le paysan fut condamné à payer dix vaches au Roi. Par dessus le marché on lui coupa une main et le pauvre revint chez lui guéri de son habitude de trop parler. Mais la chance tourne. Le Roi, qui n’avait plus sa chèvre magique pour lui porter chance, connut toute une série de malheurs : une maladie terrible ravagea ses bœufs...Il y eut sécheresse interminable et toutes les oies périrent...Les paysans affamés se révoltèrent et volèrent ses chèvres en attendant la pluie...

Une guerre frontalière éclata avec le Roi voisin, dans le sud. Un grand nombre de soldats, ainsi que le fils aîné du Roi y perdirent la vie ... Pendant ce temps, le paysan Trobobo, lui, devenait de plus en plus riche et de plus en plus puissant. Tout ce qu’il entreprenait réussissait : ses troupeaux étaient florissants, ses champs magnifiques et sa famille prospérait. Le Roi du Nord qui connaissait aussi quelques problèmes frontaliers avec le Roi sans Chèvre finit par lui déclarer la guerre.

Trobobo se mit à son service et se fit fixer au poignet un crochet d’acier plus grand qu’un hameçon à requin. La guerre fut brève et, une fois de plus le Roi sans Chèvre fut vaincu. Trobobo devenu général prit le Chef des Gardes du roi vaincu par le collet et, le maintenant solidement par le crochet d’acier, il le conduisit devant l’armée entière alignée au bord du lac.

Le Chef des Gardes fut assis nu et les mains liées sur un tabouret à deux pas de l’eau. Des crocodiles s’approchèrent par dizaines, la gueule entrouverte.

« N’est-ce pas toi qui as bu toute l’eau du ciel et provoqué cette terrible sécheresse ? » demanda le paysan.

Les crocodiles s’approchèrent.

« C’est moi, c’est moi, oui c’est bien moi ! » hurla le Chef des Gardes.

Les crocodiles montraient leurs dents.

« Est-ce toi qui obliges le soleil à se coucher malgré lui tous les soirs ? »

« C’est moi, c’est moi ! bien sûr que c’est moi. Mais tirez-moi de là ! »

Les crocodiles n’étaient plus qu’à quelques mètres.

« Est-ce toi que les crocodiles vont déguster tout à l’heure, espèce de sale menteur ? » demanda encore le paysan.

« C’est moi, c’est moi, bien sûr que c’est moi qu’ils vont dévorer si vous ne me tirez pas de là. » hurla le Chef des Gardes.

« C’est même moi qui ai volé la Chèvre Sacrée, il y a des années ! » ajouta-t-il.

« Alors... ça, je ne te l’avais pas demandé, dit le paysan, mais je suis heureux de l’apprendre. »

Il fut emprisonné et il passa le reste de sa vie à casser des cailloux pour en faire du sable. Et quand il mourut, il y avait assez de sable pour construire une grande ferme qui fut offerte à Trobobo en réparation de la honte, de l’exil et du sang versé injustement. Ce qui ne remplaça pas sa main mutilée, mais lui permit de retrouver le goût de la plaisanterie, ce qui n’était pas mal du tout, entre nous...

Graines de bitume, enfants de la rue, Tana

Mokana, orphelinat à Fianarantsoa

http://www.madalascar.net/

Publié dans Contes, Contes sur la toile

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