De bons maitres, des esclaves attachants

Publié le par Alain GYRE

De bons maitres, des esclaves attachants

04.08.2017 Notes du passé

 

«On parle sans arrêt des Tantara ny Andriana eto Madagascar. À quand les Tantaran’ny Andevo?» Cette phrase est lancée par le Pr Condominas en 1977, lors du séminaire organisé au Département d’histoire de l’Université de Madagascar sur le thème des « Traditions orales et histoire ». L’une des actions accomplies par le résident général de France, Hippolyte Laroche à Madagascar, durant son court séjour, est de promulguer l’arrêté du 26 septembre 1896 sur l’abolition de l’esclavage dans toute la Grande ile (lire précédente note).

Dans une étude menée par Bakoly Domenichini-Ramiaramanana et Jean-Pierre Domenichini sur les « Aspects de l’esclavage sous la monarchie merina d’après les textes législatifs et réglementaires » (revue d’études historiques « Omaly sy anio » de l’Université de Madagascar, janvierjuin 1982), les deux historiens font observer que le résident général n’est arrivé à cette décision qu’en étant « foncièrement persuadé de ne devoir provoquer aucun désordre ».

En effet, ce dernier constitue une commission locale pour étudier la situation générale et particulière de la société et de chaque individu. Celle-ci fait alors plusieurs constatations.

La première est qu’en Imerina, sous la monarchie, les esclaves constituent au maximum un peu plus du tiers de la population. Le « Bulletin de Madagascar » de novembre 1966, indique les résultats du recensement réalisé en 1896 pour les quatre principaux districts de l’Imerina, moins dix-neuf villages dont les résultats ne sont pas encore parvenus à la Résidence générale à la date du 12 mars 1896 : 216 697 esclaves (36,19% de la population) pour 337 637 sujets libres (56,39%) et 44 354 nobles (7,40%).

Mais les esclaves ne sont pas du nombre des sujets de la reine qui, de ce fait, « ne devait pas être trop opposée à leur émancipation. Bien au contraire peut-être et ce, malgré la perte des taxes d’enregistrement des ventes ». C’est pourquoi la circulaire du 15 octobre 1896 de Rasanjy qui fait fonction de Premier ministre, porte sur la nécessité de faire enregistrer les esclaves libérés, en tant qu’individu et en tant que sujet marié, avec enfants légitimes, « comme l’étaient  déjà les personnes libres ».

Deuxième constatation de la commission d’étude: « Au moins, à Tananarive, les propriétaires d’esclaves, ils sont nombreux, considérèrent comme déjà réalisée une mesure qu’à la vérité ils attendaient ». Ils en prennent « allègrement » leur parti, quand leur parvient la nouvelle du « vœu de la Chambre des députés relatif à l’émancipation immédiate des esclaves à Madagascar ».

Troisième constatation, ajoutent les membres de la commission, les esclaves ne sont pas tous des miséreux. Certains ont même des « biens meubles ou immeubles acquis de leurs deniers ou par héritage ». Même s’ils sont toujours considérés comme des « enfants mineurs » même mariés ou ayant à charge une famille, et même s’ils ne peuvent en disposer librement sans l’autorisation de leurs maitres.

Ces derniers ne sont pas tous non plus d’odieux personnages, précisent les membres de la commission. Ce sont des personnes dont « les libéralités envers leurs esclaves pouvaient se constituer de biens meubles donnés en toute propriété ou de biens immeubles donnés en usufruit ». D’ailleurs, beaucoup d’affranchis au lieu de se séparer de leurs anciens maitres, leur restent attachés et continuent de demeurer auprès d’eux et l’on peut donc espérer que « les esclaves libérés s’ils ont eu de bons rapports avec leurs anciens maitres, pourront se trouver à l’abri du besoin ».

À 100 francs par personne en moyenne, l’ensemble des esclaves d’Imerina, tels qu’ils sont recensés en 1896, représentent alors au cours réel du marché, un capital d’environ 22 millions de francs. La résidence générale estime ainsi pouvoir compenser la perte en déclarant : « La France s’interdit de frapper sur le peuple de Madagascar aucune contribution extraordinaire de guerre » !

 

Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles

http://www.lexpressmada.com/blog/notes-du-passe/de-bons-maitres-des-esclaves-attachants/

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