Rakoto Frah, le grand maître de la « sodina » qui vola la vedette à Gilberto Gil

Publié le par Alain GYRE

Rakoto Frah, le grand maître de la « sodina » qui vola la vedette à Gilberto Gil

Rédaction Midi Madagasikara  13 septembre 2017

Il possédait, selon Ornette Coleman, l’un des plus beaux phrasés du monde. Ian Anderson, flûtiste et leader de Jethro Tull, le citait comme sa référence majeure. En 1997, la réalisatrice Camille Marchand lui avait même consacré un documentaire. Ce maître incontesté de la «sodina»  a fait souffler sur le monde un sacré vent de malice. Son phrasé aérien, élégant, très dépouillé et d’une extrême pureté s’imposera dans tous les styles de la Grande Ile et lui vaudra de nombreuses sollicitations internationales. Il jouera notamment avec Manu Dibango, le groupe sud-africain Ladysmith Black Mambazo qu’il a rencontré lors de son spectacle en Inde, les jazzmen David Lindley et Henry Keiser qui déclaraient à son sujet, qu’il est « l’un des musiciens et des individus les plus incroyables que nous ayons jamais rencontrés. Sa maîtrise de la « sodina » est à un niveau que vous ne pouvez comparer qu’aux grands maîtres instrumentaux occidentaux comme John Coltrane , Ornette Coleman, Billy Pigg ou Miles Davis ». Rakoto Frah, une étoile, une virtuose dont le portrait a été imprimé sur les billets de banque de 1 000 francs malgaches (200 ariary) de 1983. Seize ans après sa disparition, le monde, ses amis, ceux qui ont collaboré avec lui, se souviennent encore de la personne et de l’immense artiste qu’il était.

 

Festival des nuits atypiques de Langon

Ce jour où Rakoto Frah vola la vedette à Gilberto Gil

« C’était le dernier jour du festival des nuits atypiques de Langon. Il avait été programmé que Gilberto Gil (plus tard devenu Ministre de la Culture au Brésil) clôture l’évènement. 20 000 personnes avaient été présentes. Le Directeur du festival nous a invités (Feo Gasy) à jouer quatre titres avant l’entrée de la grande star. On hésitait un peu. Avouons que c’est quand même intimidant de se produire devant tant de monde qui attendent impatiemment de retrouver leur idole. Nous avons cependant accepté de monter sur scène et avons donc mis nos « malabary ». Nous nous sommes installés. Personne n’avait applaudi. Aux premières notes, le silence s’était installé. C’était comme s’il n’y avait plus personne. Les spectateurs, après la première chanson, avaient cependant été enchantés et nous ont accueillis avec un tonnerre d’applaudissements. On s’est dit ‘ ouf, le message est passé’. D’ailleurs, le public a insisté pour qu’on joue trois morceaux en plus. Après notre prestation, j’ai présenté les membres du groupe, depuis le benjamin à… Rakoto Frah. A l’annonce de son nom, le public s’est mis à l’acclamer de plus bel. Ce même public qui, 30 minutes auparavant n’avait encore jamais entendu parler de lui. Nous avons donc quitté la scène avec une petite note de satisfaction. Vint enfin le tour de la grande star Gilberto Gil de monter sur scène. Il s’apprêta à faire danser tous ceux qui étaient là. Ces derniers ne voulaient rien savoir. Ils n’avaient qu’un nom à la bouche : ‘Rakoto Frah’. Ils réclamaient son retour. Gilberto Gil était stupéfié, ne comprenant pas ce qui se passe. Il ne s’attendait aucunement à se faire voler la vedette par un « illustre inconnu ». Le Directeur du festival est donc parti à la recherche de Rakoto le sollicitant de revenir sur scène. Je me souviens, il m’a demandé si Rakoto pouvait, savait jouer de la musique brésilienne, de la samba. Je lui ai répondu que oui, il pouvait jouer sur n’importe quel rythme. Gilberto Gil commença à jouer. On chercha la «sodina»  avec laquelle il allait accompagner cet artiste brésilien. Vint enfin le moment ! Le mélange du « latsi-tanana » de Rakoto et la samba de Gilberto Gil fut explosif. Le public, totalement sous le charme, émet des cris d’applaudissement. En coulisse, on était tous ému à en avoir les larmes aux yeux. Sacré Rakoto Frah ! » (Récit d’Erick Manana)

 

Anecdotes : Rakoto et les jus de tomate

Il n’aimait pas les jus de tomate. Dans l’avion, quand les hôtesses lui demandaient s’il voulait boire quelque chose, il demandait toujours à prendre la même chose que son voisin et répliquait souvent par « c’est pareil ». Une fois, celui assis à côté de lui a commandé un « jus de tomate » et lui a servi la même chose. Il m’a sorti « Samoela, ce que cette hôtesse m’a donné, n’est-ce pas ces choses qu’on met sur les frites ? » (Samoela)

« Tortue ninja ? »

« Notre premier album (feo gasy) a été vendu en France, au Fnac. Tous les jours, il nous fallait nous faire connaître à travers un concert. Le Fnac sur lequel on se rendait était un peu étroit. Il y avait des enfants qui se sont attroupés sur les lieux. Parmi ses enfants, un qui m’a profondément marqué par sa remarque : maman, maman, c’est tortue ninja, disait-il à sa mère ». (Benny)

Le billet de 1000 francs (200 ariary ) à l’effigie de Rakoto Frah.

 

Rue Rakoto Frah, billets de banque à son effigie

Au cours de sa vie, Rakoto Frah a été commémoré par d’autres artistes et par le gouvernement de Madagascar, qui lui a délivré de nombreux prix et félicitations tout au long de sa carrière. La conception du billet de 1 000 francs malgaches (200 ariary ) imprimée pour la première fois par la Banque centrale en 1983 représentait Rakoto Frah vêtu d’un chapeau de paille traditionnel et de lamba et jouait de la «sodina» . Il est le seul artiste à avoir été présenté sur un billet de banque malgache. Selon un représentant de la Banque centrale, l’artiste a été sélectionné parce qu’il était le plus représentatif de l’identité malgache. Le 28 octobre 2011, le ministère de la Culture a attribué son nom à une rue de son quartier, celui d’Anatihazo Isotry.

Les artistes qui vont participer à « Itondray tsikitsiky », le concert-hommage à Rakoto Frah, organisé par Gasy Events, qui va se tenir au Carlton le 1er octobre.

« Tsiaro an-dRakoto » par Gasy events au Carlton le 1er octobre

Depuis ce jour où il a été choisi par le Président Philibert Tsiranana pour se produire pour le Président français Charles de Gaulle en 1958, jusqu’à la date du 29 septembre 2001, où il décède suite à une infection pulmonaire, Rakoto Frah n’a cessé de porter haut le flambeau malgache. Il a brillé, non seulement par son talent mais surtout par son humilité et sa simplicité. En hommage à ce grand homme qu’il était, Gasy events a décidé d’organiser une soirée pendant laquelle on se rappellera « l’enchanteur de flûte ». Intitulé « Itondray tsikitsiky », l’évènement mettra en scène quelques-uns des artistes qui ont collaboré avec Rakoto Frah. Ils viennent de divers horizons musicaux mais s’accordent à dire que « Rakoto Frah est non seulement un musicien mais également une personne exceptionnelle dont la bonne humeur était contagieuse ». Pour ce concert qui se tiendra au Carlton le 1er octobre prochain, nous retrouverons Dama, Samoela, Jaojoby, Lôlô sy ny tariny, Telofangady, Feo Gasy, Lilie et bien entendu Rakoto Frah junior. Parallèlement, une exposition relatant l’histoire et le parcours artistique de Dadakoto se tiendra également dans le hall du Carlton.

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Dossier réalisé par Mahetsaka

Photos : Kelly/Archives Midi Madagasikara

http://www.midi-madagasikara.mg/dossiers/2017/09/13/rakoto-frah-le-grand-maitre-de-la-sodina-qui-vola-la-vedette-a-gilberto-gil/

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A
Génie musical et personnalité authentique... Son inimitable à la sodina, reconnu par les plus grands jazzmen...
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