2012-04-03 Funérailles dans un village de la forêt orientale

Publié le par Alain GYRE

Funérailles dans un village de la forêt orientale

La vie serait stérile sans la mort; et la mort sans la vie serait vide de sens » (Jean-Louis Ndemahasoa, Revue de Madagascar, 1961). Le village de Maropeka est en effervescence. Un homme est mort, Masy est mort. C'est l'occasion d'une grande cérémonie, pour ne pas dire festivité, dans le village.

D'un côté, accordéons et flûtes concourent à l'animation générale, des mélopées monotones emplissent l'espace, obligeant à danser.

« Car la venue de la mort au village est le signe du secours qu'apporte l'au-delà. Tout défunt peut être invoqué pour le secours des vivants et cela fait danser, sauter, virevolter et pirouetter la jeunesse remplie d'espoir ».

De l'autre, les plaintes de la famille du défunt s'égrènent en d'étranges et effrayantes mélodies. « Douleurs vraies et pleurs étudiés s'élèvent en même temps ». En particulier, les cris déchirants de Fifina, l'épouse, traversent la nuit, constitués d'une série de questions qui se résument aux raisons de ce départ « inexpliqué », de cet « éloignement », cet « abandon » qui la laisse dans une situation désormais précaire au sein de la communauté. Joie et pleurs sont entrecoupés des injures et scène de grossièretés des « Mpiziva » (parents à plaisanterie) du défunt.

Après cette veillée partagée, arrive le matin pendant lequel tous se préparent à l'enterrement, notamment en choisissant le ou les bœufs à immoler en fonction de la richesse du défunt. Le corps sans vie de Masy est placé sur un brancard. Quatre jeunes gens se chargent de son transport dans son ultime voyage. On le conduit à pas de course, fuyant le village après avoir fait six fois le tour de la Tranobe, la Maison du chef, spirituel et du clan. Puis les porteurs font faire au défunt ses gestes coutumiers: dernier bain terrestre et dernière initiation à la natation.

À la sortie de l'eau, ils lui rappellent le « grimper d'avant sommeil »: tous les porteurs montent au même arbre, le brancard portant le corps sur l'épaule, et le placent plus ou moins en équilibre sur une branche. Une bande bruyante les suit dans cette action jusqu'à ce que la malheureuse branche se rompe à grands fracas. Le cadavre est immédiatement repris sur les épaules où « il retrouve dans la joie son rang de protecteur des vivants. Ainsi s'achèvent les scènes du dernier retour à la vie ou aux activités ».

Le cortège funèbre devient une compagnie joyeuse d'où s'élèvent éclats de rires, échanges de paroles de satisfaction. « Chacun est heureux d'avoir accompli la formalité séculaire de fidélité aux ancêtres ». Cette fête joyeuse, gaie doit aussi marquer l'entrée dans la tombe.

Toutefois, quand le corps pénètre dans la tombe, une explosion de pleurs précède un grand silence et l'enterrement s'accomplit. Quand le corps est installé à sa place éternelle, la tête tournée vers le soleil levant, un service d'argenterie, un couteau, son chapeau de paille et ses objets les plus chers lui sont remis. Ce rituel est suivi d'une annonce pompeuse qui a pour objet de rehausser le mérite de la famille éplorée. Annonce qui, en outre, incite les jeunes à mener une vie d'austérité, de fidélité au clan, d'insouciance et de courage pour braver la misère.

Elle est toujours accueillie de manière formelle et « provoque même une certaine fierté car elle place les vivants sous les ailes de la puissance et de la dignité ». Elle ouvre également aux membres de la famille du défunt une porte d'accès à la réussite ou, comme c'est quelquefois le cas, elle produit l'effet contraire...

Un proverbe connu trouve ici son plein sens: « Le riche n'est pas l'ami du pauvre », car plus il y a de bœufs immolés, plus l'annonce a du succès parce que la quantité de viande à consommer après l'enterrement sera importante.

Avant de rabattre la dalle qui ferme la tombe, parents et amis du défunt lui jettent un peu de caillou ou de sable, geste qui symbolise le « voile de l'oubli » car il a pour signification: « Dormez en paix et ne nous poursuivez plus! »

La veuve se coiffe alors d'un chapeau de paille rond, les hommes laissent pousser leurs cheveux et barbe, exprimant ainsi le deuil. Et la vie reprend son cours.

Pourtant, une certaine peur inavouée persiste. On craint que, pour une quelconque raison, Masy ne revienne au village en « méchant revenant », en « lolo vokatra ». Aussi une pierre est-elle levée en sa mémoire et « Menabe », le gros bœuf rouge, est immolé sur celle-ci.

Pela Ravalitera

Mardi 03 avril 2012

   L’Express

Publié dans Coutumes, Notes du passé

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article