Un peuple qui aurait besoin de poigne

Publié le par Alain GYRE

Un peuple qui aurait besoin de poigne

Le retour du général Gallieni à Antanana­rivo, le 10 juillet 1897, après un périple autour de l’île, a défrayé les chroniques. Et ce, du fait de l’accueil réservé par la population, comme le relatent de nombreux correspondants français.
Evidemment, le programme a prévu qu’il soit salué par ses troupes à coups de canon et par les autorités malgaches avec de beaux discours officiels. Autrement dit, on lui organise la réception qui convient au représentant de la France. Mais ce qui n’a pas été au programme et ce qui surprend agréablement les vieux colons, est la « manifestation spontanée » de la population.
« Le général Gallieni a été reçu par les Malgaches comme l’aurait été Ranavalona rentrant dans sa bonne ville. » Non seulement les maisons sont pavoisées, mais la population se presse le long du parcours « jusque sur les toits », battant des mains en cadence comme on doit le faire conformément au vieux cérémonial sur le passage du souverain.
« Le fait le plus curieux est que plusieurs kilomètres avant d’arriver à Tananarive, des femmes accouraient des villages voisins et jetaient des bouquets au général. Amabilité bien méritoire, car dans l’Imerina la moindre giroflée ne consent à pousser que si on lui consacre des soins maternels. »
Le chroniqueur refuse de voir dans cet « enthousiasme populaire » le résultat de la peur. Il cite, pour étayer son opinion, les arcs de triomphe en bananiers dressés, réunis par une banderole avec cette inscription : « Au général Gallieni le peuple reconnaissant ». Il remarque néanmoins que beaucoup de Français sourient devant cette inscription dont ils doutent la sincérité.
Cependant, le chroniqueur pense qu’ils ont peut-être tort, si l’on se rappelle la masse de la population, esclaves libérés, porteurs, petits commerçants qui « ont beaucoup gagné à notre venue ». Il fait même remarquer que même de grands personnages n’ont pas à se repentir de l’arrivée des colonisateurs.
Mais surtout, ajoute-t-il, il ne faut pas oublier que les Mal­gaches « apprécient surtout la poigne », avant d’indiquer : « Une promenade au cœur de Tananarive, au sommet de la ville, est instructive à ce point de vue ; à chaque pas, on rencontre des coins tragiques. »
Et le correspondant français de citer la « chapelle expiatoire » d’Ampamarinana où, du haut des rochers à pic, on précipitait les condamnés à mort ligotés dans une natte. Au bord du précipice, des soldats les recevaient sur les pointes de leurs sagaies.
Un peu plus loin, se trouve Ambatotsimahasoaolona, la roche qui n’embellit pas. Cet « euphémisme discret » désigne la pierre où les cadavres des exécutés étaient livrés aux chiens.
En bas de la colline, dans la plaine, on aperçoit un marais aux grands roseaux. « C’est là qu’à chaque avènement, le nouveau roi faisait noyer ceux de ses parents qui avaient été ou auraient pu être ses compétiteurs. » Ils sont noyés par respect, car le bourreau n’a pas le droit de répandre le sang d’aussi hauts personnages Andriana. « Et comme le marais n’est pas profond, on leur attachait une fourche autour du cou et on leur maintenait le nez sous quelques centimètres d’eau. »
Le chroniqueur ne manque pas de signaler que « ces horreurs » datent d’à peine 25 ans, lançant au passage une pique contre « les bons missionnaires qui en étaient les témoins passifs ».
Et de conclure : « Chez un peuple qui a de pareilles habitudes de gouvernement, l’introduction brusque des nôtres provoque une explosion : le mélange est détonant. Comprendrons-nous enfin que, si les hommes sont égaux, ils ne sont pas semblables, et que de ce côté-ci de l’Equateur, on prend les mouches avec du vinaigre. Hippolyte Laroche ne l’avait pas compris ; aussi jamais Malgache n’a-t-il eu l’idée de le saluer quand il passait dans la rue. »

Pela Ravalitera

Mardi 30 avril 2013

Notes du passé

L’Express

 

Publié dans Notes du passé, Histoire

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