2013-11-14 Notes du passé: Faire barrage aux candidats de l’extérieur

Publié le par Alain GYRE

Faire barrage aux candidats de l’extérieur

 

À défaut de personnalités politiques en vue, deux députés posent leur candidature pour représenter les Français de Madagascar au Conseil supérieur des Colonies, élection prévue en mai 1921. Il s’agit de l’ancien avocat de Toamasina, Gasparin pour la côte Est, et du médecin et publiciste Boussenot pour la côte Ouest.

Si le premier est peu apprécié, le second est plutôt bien accueilli (lire précédente Note). La seule inquiétude qui provoque certaines critiques à son égard, est

le fait qu’il est député de La Réunion. « On craint dans l’immédiat qu’en cas de conflit entre

les intérêts de la Grande île dont il serait délégué, et ceux de l’île voisine dont il est député, il opte délibérément et systématiquement pour cette dernière» (M. Gontard, magistrat, 1969).

A plus long terme, on voit dans l’intrusion des Réunionnais une menace plus grave encore,

« l’invasion » de la Grande île par les colons venus de l’Est. « Si nous ne désirons pas voir Madagascar tomber au rang de satellite de Bourbon, servir de repoussoir à Bourbon… gardons-nous comme de la peste… de confier les intérêts de la Grande île à des politiques de l’île sœur », écrit le « Phare » de Mahajanga (19 janvier 1921). Pour le journal, avec des représentants de La Réunion pour délégués, « nos gouverneurs dépendront des députés de La Réunion… l’îlot battu par les vagues et le vent, pourri, vidé, perdu par la nauséeuse politique, remplacé par un immense territoire où l’on pourra s’ébattre tout à l’aise, quelle aubaine ! »

La perspective d’avoir pour délégués les députés de La Réunion, secoue l’apathie d’électeurs locaux jusqu’ici peu enthousiastes, et « provoque des candidatures au sein des milieux d’affaires ». En février, l’ingénieur agronome Hardelet, qui compte vingt ans de séjour dans l’île et vient d’être

« nommé chevalier de la Légion d’honneur pour services rendus à la colonisation de Madagascar », pose sa candidature comme délégué de la côte Est. « Les chambres consulaires de Fianarantsoa, Ambositra, Moramanga l’assurent de leur appui.»

Quelques jours plus tard, Sescau, trente-trois années de séjour à Madagascar et qui est rentré en France en 1919, fait part de sa décision de se présenter lui aussi candidat sur la côte Est. Connu surtout dans le milieu financier et économique, colon retraité retiré des affaires, il ne souhaite pas faire une carrière politique et a l’avantage d’avoir longtemps vécu dans l’île où il est arrivé en 1886, et d’en connaître les problèmes.

Informé de la candidature de Sescau, Hardelet qui se présente pour la seule raison de faire échec aux candidats de l’extérieur, s’efface. Il téléphone le 27 mars à Sescau : « Mon rôle n’a plus de raison d’être et j’estime de mon devoir, pour faire triompher notre cause, de passer le commandement à mon aîné, les candidats étrangers ne devant pas profiter de la dispersion des suffrages.» Le 10 avril à Mananjary où il donne une conférence, Hardelet milite en faveur de Sescau. Il évoque « le danger que courait notre pays envahi par les charlatans… comptant sur la naïveté de ceux qui peinent ici pour le bluffer et obtenir d’eux un titre avantageux». Sescau devient ainsi le candidat des colons de la circonscription Est.

De son côté, Gasparin, sans doute conscient de son impopularité, renonce lui aussi à se présenter dans la circonscription Est. Les milieux parisiens lancent alors la candidature de Beaurin, journaliste au « Matin », devenu rédacteur en chef de la « Dépêche coloniale ». Gasparin se prononce en sa faveur. Boussenot, de son côté, télégraphie à ses amis le 17 mars de « soutenir et faire triompher candidature excellent ami Beaurin ».

La « Tribune de Madagascar » se rallie à sa candidature, insistant sur l’influence qu’a Beaurin dans les milieux politiques et coloniaux parisiens. C’est, à en croire le journal, « une sorte d’éminence grise du ministère, l’homme qu’il fallait pour défendre à Paris les intérêts de la Grande île », car « les ministres successifs d’abord le reçurent, puis l’écoutèrent, provoquèrent enfin ses conseils ».

La situation est donc nette dans la circonscription orientale où deux candidats s’affrontent, tous deux parisiens, l’un celui des colons et du ministère et l’autre, homme d’affaires et journaliste bien en cour.

 

 

 

Pela Ravalitera

 

Jeudi 14 novembre 2013

L’Express

Publié dans Notes du passé

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