2012-12-13 Les avatars d'un soldat betsileo

Publié le par Alain GYRE

Les avatars d’un soldat betsileo

En 1836, un soldat originaire de Masi­nandraina (Betsileo du Nord ou Vakinan­karatra), prend part à une expédition guerrière dirigée vers l’Ikongo en pays tanala situé au Sud-est de Fianarantsoa. Rainiarovana- c’est son nom- est très anxieux.
Il s’adresse à un « mpisikidy » pour savoir ce qui lui arriverait pendant la campagne. La réponse qu’il obtient est très décourageante : il serait abandonné par les autres soldats pendant un combat, encerclé et fait prisonnier par l’ennemi. Il sait ce que cela signifie : l’ennemi lui couperait la tête et la ficherait sur un pieu.
C’est la coutume à cette époque en ce pays. Le devin lui conseille d’utiliser tout son argent et tous ses biens pour acheter son devoir de service militaire.
Mais le rachat lui est refusé et il ne peut s’exiler ni se soustraire par quelque autre moyen à ce service. Il s’adresse à un autre « mpisikidy » qui lui dit : « Va à la guerre, fais ta corvée. En cours de route, un des esprits des morts se révèlera à toi. Fais ce qu’il t’ordonnera. Tu avanceras heureux, heureux et bien portant tu reviendras ».
Rainiarovana part. Une nuit, sur la route du pays tanala, un des « esprits des morts » se révèle à lui : « Va seulement. Je te donnerai Imahaibe le très puissant, l’omnipotent. Tu ne tomberas pas à la guerre. Tu te distingueras, on écoutera tes paroles, on t’applaudira, tu auras la peau douce auprès du peuple ».
En contrepartie, le « ody » Imahaibe exige d’être sanctifié et honoré d’un sang de valeur suprême, celui d’un enfant. « Tu feras deux sortes de dieux, Betsiritra (grand intarissable, inépuisable) et Tsara­masororoka (paiement, rétribution surabondante). Les deux réunis auront un nom commun : Itsitia­zazamena ».
Autrement dit, celui qui n’aime pas un enfant rouge, « zaza­mena » étant le terme affectueux pour désigner les enfants des princes, des nobles, des riches; c’est dire que le « ody » n’exige que le sang des familles ordinaires, de serviteurs ou d’esclaves.
Après quelques doutes, le soldat se dit qu’il n’a pas le choix et qu’il faut suivre les directives de l’esprit. Il commence par sculpter deux figurines dans une essence de bois très dur, ressemblant à des êtres humains habillés de soie. Le soldat reçoit ensuite l’ordre de se baigner « dans sept fleuves ou rivières, coulant dans sept vallons » : le sept « étant le nombre de la malédiction, de la destruction et de l’anéantissement ».
Cela fait, comme il est loin de sa famille, l’esprit veut qu’il sanctifie les fétiches avec le sang d’une phalangette de son index gauche et lui précise : « Tu feras ainsi chaque année ».
Rainiarovana revient sain et sauf de la guerre. Mais à l’anniversaire de la sanctification, Itsitiazazamena lui rappelle qu’il doit lui apporter le sacrifice qu’il lui a promis.
La veille du jour prévu, il se baigne sept fois puis réunit son clan pour tout lui expliquer. On sépare alors les enfants en deux files, d’un côté ceux dont les « pères et mères » vivent encore, de l’autre les orphelins.
On fait osciller l’idole au-dessus d’un feu de résine : il choisit un enfant du premier groupe, qui est sacrifié malgré la douleur de ses parents.
Heureusement pour lui, Rainiaro­vana ne peut conserver son fétiche plus d’une année.
Un chef très puissant con­voque ses subordonnés à une réunion où chacun doit apporter ses « ody » afin de montrer ce qu’ils valent ; compétitions qui ne sont pas rares à l’époque.
Itsitizazamena gagne le prix car « il sait faire tomber la pluie », capacité qui est une preuve de force. Le grand seigneur insiste pour l’acheter. Le soldat reçoit 100 piastres qui, dit-on, est à la base de la grande fortune héritée par ses descendants.
Il doit cependant promettre de ne pas fabriquer de figurines semblables pour ne pas diminuer la force du « ody » originel.
Le seigneur est connu pour sa dureté et ne se cache pas pour sacrifier une personne à son idole, pas forcément un enfant.
Ce « ody » et son culte sont si bien connus que, dans les jeux et les danses populaires, on chante un air improvisé sur ce thème.
D’après ce qu’on raconte, il y a alors de tels abus que le Premier ministre est obligé d’intervenir en personne le seigneur faisant partie de l’armée de Ranavalona.

Pela Ravalitera

Jeudi 13 decembre 2012

L’Express

Publié dans Notes du passé

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