Nouvelle: “LA PRINCESSE DIAPHANE” - Hantanirina Oliva Rajoharison

Publié le par Alain GYRE

 

“LA PRINCESSE DIAPHANE” -

 

Pris dans le tourbillon de l’inquiétude et de la honte Tombozara, qui s’était juré que sa fille serait exceptionnelle, décide de l’amener chez un fameux guérisseur « Moasy » dans un village voisin. Traditionnellement, il était d’usage de faire passer le nourrisson ou l’enfant de bas âge chétif ou malade par le « trambo », un remède accompagné de rituel et de divers interdits ou  « fady ». Bien que cet usage soit de moins en moins pratiqué au grand jour avec l’entrée massive du christianisme dans la région et l’existence de centres de santé de proximité, il est encore adopté par la plupart des tribus Sakalava du 21e Siècle, notamment pour des cas spécifiques ou des maladies incurables.

La petite famille quitte ainsi le village à l’aube pour traverser une grande rivière dans une pirogue exiguë dont la coque fendue laisse infiltrer l’eau sur certains points. Le passeur, trop affairé entre ses pagaies aux palmes dentelées et son écuelle trouée, seul outil pour dégager l’eau, ne se soucie guère des crocodiles qui somnolent au fond. Il semble connaitre la meilleure heure de traversée. La pirogue avance doucement entre les lames d’une eau fumante, limpide et somnolente également dans un silence paisible qui rassure les voyageurs. Une fois à terre, malgré son soulagement, le cœur de Soaraza bat de plus en plus fort encore, non plus par peur mais plutôt par l’excitation d’un proche salut. Elle fit un grand soupir de soulagement, serra fortement son enfant encore endormi et trop lourd pour elle, et pressa le pas derrière son mari qui semble courir sans se retourner ni prononcer mot. Tombozara connait le chemin.

Arrivés devant une case fortement inclinée, ils s’arrêtent et frappent à un battant de porte minuscule, branlante et qui semble ne jamais fermer. Elle eut la gorge serrée, par un mélange de crainte et de curiosité. Un homme qui parait grand et fin leur souhaite la bienvenue, assis en lotus sur une natte couleur de miel. « Que le Zanahary (Créateur) et les Raza (aïeux) vous bénissent ! Prenez place ! » Annonça-t-il avec un sourire malicieux, scrutant l’enfant d’un œil indiscret. Soaraza s’assoit un peu en retrait par rapport à son mari. Ainsi positionnée, elle entrevoit à travers la lueur blafarde d’une minuscule ouverture sur le coté Est de la case une dent de crocodile pendait a sa poitrine, que le Moasy caresse incessamment avec ses doigts. L’autre main tient sur une de ses jambes croisées, un « mohara », son talisman, en forme de corne de zebu, enrobé d’une série de perles fines serties dans du bois.  Sans que Tombozara eusse le temps d’exprimer la raison de leur visite, le guérisseur s’exclama :

- Rien de grave ! Même si « soavola »[1]perdu, on ne perd pas espoir ! Vous venez un peu trop tard mais on va arranger cela. Rien n’est jamais perdu quand on ne perd pas espoir !

- Elle est quand même en âge d’aller à l’école ! … et… en plus les enfants dans notre village se moquent de notre petite…. Elle nous couvre de honte… interpella Tombozara.

- Shhh…. Balivernes ! Sachez que votre petite est une « mahery vinta » (chanceuse), de ceux que les étoiles n’abandonnent pas. L’univers a des secrets que nous les humains ignorons. Cette petite sait beaucoup plus que tout autre enfant de son âge, plus que nous même, peut-être…. Enfin …N’ayez aucune crainte ! Elle parlera quand Zanahary le voudra. Si elle ne parle pas, ce sera la volonté des cieux… ou bien la sienne !

Surpris par de telles paroles et surtout par une telle précision sur les faits concernant la perte de son bracelet sacré et le mutisme de l’enfant, les parents restent cois. Zafindrano écarquilla ses yeux imbibés de rosée. Le Moasy prit quelques bouts de bois, les broya en poudre avec un silex bien poli sur une pierre aplatie et en prépara une onction qu’il appliqua sur quelques points du buste de Zafindrano tout en  s’adonnant à une séance d’incantation et de prière adressée au Zanahary et aux Raza (aïeux). L’enfant se livre à ce rituel sans broncher. Docilement, Zafindrano suit des yeux tous les gestes du guérisseur. A un moment donné, ses petits yeux rencontrent ceux du Moasy et ce dernier eu un frisson à travers tout son corps. En une fraction de seconde, il s’est tu. Ses bras électrocutés cessent de bouger, ses doigts sont scotchés sur le nombril de la petite jusqu'à ce qu’une petite main les frôle calmement. Leurs âmes s’accordent. Elle lui sourit tendrement.

Il retrouve ses esprits. Puis, il prit une brassée de branchages, quelques racines, et des feuilles provenant d’un arbre sacré en pleine forêt (hazomby) et les trempa dans un récipient d’eau pour en faire une potion.  Soaraza, plus sereine, en prend une gorgée. La Moasy lui ordonne d’en donner également à sa petite fille. Ils quittèrent la case du Moasa quand le soleil encore pourpre entama sa montée à travers les montagnes. La silhouette du passeur semble danser au rythme des éclats de lumière encore timide sur la rive. Le retour sur une eau plus capricieuse certes sera plus paisible pour des cœurs engorgés d’espoir.

[1] Le bracelet « haria malandy » est également appelée « soa vola » (belle parole)

 

Extrait de “LA PRINCESSE DIAPHANE” (chapitre 2 de “ZAFINDRANO A LA RECHERCHE DE L’AME PERDUE”)

Anse Etoile, INEDIT

Hantanirina Oliva Rajoharison

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